Ce n'est jamais qu'une histoire, comme celle de milliers de gens
Mais voilà, c'est mon histoire et bien sûr, c'est différent
On essaie, on croit pouvoir, oublier avec le temps
On n'oublie jamais rien, on vit avec.
Toutes les naissances sont particulières, et chaque histoire est porteuse du sens de celui qui la vit. Je suis le fils d'une femme blanche comme un cul dont les origines britanniques habitaient le sang bien qu'elle n'y était pas née et d'un homme de toute évidence noir que je n'ai jamais connu. On pourrait croire que je suis le fruit d'un accident mais ma naissance a été désirée et assumée par ma mère même si elle en a payé le prix fort.
Elle en a entendu et vécu, ma mère, à partir du jour même où j'ai poussé mon premier cri. « La dame », ou plutôt « la fille », car le titre de dame ne semble plus être accordé à notre époque, « et son singe de compagnie », « Amy et son macaque », « celle-qui-s'est-faite-tronchée-par-un noir », et d'autres joyeusetés. En partie parce qu'elle avait choisi de faire un bébé toute seule, ou plutôt parce qu'elle n'avait jamais révélé à personne l'identité de mon géniteur, et qu'en plus ce dernier n'était pas de la " bonne couleur ", elle en subissait le prix, et moi avec elle. De ce que j'avais pu comprendre, j'étais le fruit d'une aventure, d'une parenthèse de sa vie, d'un choix de sa part, mais jamais elle ne lui en avait parlé, et il n'était pas le genre d'homme que l'on aurait pu vouloir comme père. Cela dit, je pense que ses gènes n'étaient pas trop mal puisqu'ils ont créé l'être que je suis.
Métisse, un mélange de couleurs, oh-oh
Oh métisse, je viens d'ici et d'ailleurs, oh-oh
Je suis métisse, un mélange de couleurs, oh-oh
Oh métisse, je viens d'ici et d'ailleurs, oh-oh
Je suis métisse (deux être différents qui se mélangent et ne font qu'un)
Je suis métisse (deux cultures, deux passés qui se rassemblent et ne font qu'un)
Je suis métisse (deux façons de penser qui se rassemblent pour ne faire qu'un)
Je suis métisse (pas besoin d'voyager pour dire que je viens de loin)
Na, na-na, na-na, na-na, na-na, oh-oh
Na, na-na, na-na, na-na, na-na, oh-oh
Je suis métisse, un mélange de couleurs, oh-oh (na, na-na, na-na, na-na, na-na)
Oh métisse, je viens d'ici et d'ailleurs, oh-oh (na, na-na, na-na, na-na, na-na)
Je suis métisse, un mélange de couleurs, oh-oh (na, na-na, na-na, na-na, na-na)
Oh métisse, je viens d'ici et d'ailleurs, oh-oh (na, na-na, na-na, na-na, na-na)
Toutes les paroles qui ont été dites à ma mère, je les ai reçues moi aussi en face. « Zénon, le macaque », « le petit singe apprivoisé de sa maman », le bout de charbon dans sa chaussure. Certains ont même dit, et pensé, que j'étais le fruit d'un viol ou juste... une erreur. Des paroles qui vous pèsent, mais qui vous forgent aussi. Des paroles dont on ne mesure ni les effets, ni leur portée, mais que bien souvent on pense même si on prétend le contraire à la face du monde. Reflet de la pensée des parents, reflet de la pensée de la " bonne " société.
J'étais le seul être au teint foncé dans une classe de blancs, et je peux vous dire que cela n'entraine pas que des sourires, mais cela, je pense que vous l'aviez compris. On vous dit que vous puez, que vous n'êtes pas comme eux, que votre différence crée la distance. Ils sont peu à avoir été proches de moi, bien peu et encore aujourd'hui, ils sont peu nombreux ceux que je considère vraiment. Mais de cette enfance en dent de scie, j'en ai fait ma force.
Je n’ai jamais voulu croire que mes rêves se limitaient à l’horizon étriqué de ma vie et de ses habitants. Ma mère, je l’ai toujours vu travailler énormément, elle faisait des heures et des heures en temps qu’agent de call center pour la police. C’était elle qui recevait les appels en détresse de la population et qui envoyait les patrouilles là où c’était nécessaire. Par moment je la voyais à bout. Elle semblait souvent fatiguée, ma mère, et assez négative sur la nature humaine et ce n'était pas moi qui le lui aurait reproché.
Ce n'était pas une femme qui avait beaucoup d'amis, elle pouvait les compter sur les doigts d'une seule main, mais celle dont elle était le plus proche était sans doute sa sœur cadette. Elles n'avaient que deux ans d'écart et j'imagine que malgré des disputes d'enfants, jamais elles n'avaient envisagé de rupture dans leur relation. Pourtant alors qu'elles avaient pour ma mère douze ans et pour sa sœur, ma tante, dix ans, leurs parents s'étaient séparés, son père partant avec sa sœur en Amérique et elle restant en Belgique avec sa mère. Elles gardèrent le contact, bien sûr, même si elles ne pouvaient pas toujours se voir aussi facilement qu'elles le voulaient. Aux longues vacances scolaires durant l'année uniquement. Plus n'était pas envisageable. Après leur passage à l'âge adulte, elles continuèrent de se voir une fois par an durant leurs vacances, elles se prenaient un mois en commun pour resserrer leurs liens et jamais cela n'a changé. Cette femme, je l'aimais moi aussi beaucoup. Elle disait toujours que j'étais l'enfant qu'elle aurait aimé avoir et je ne comprenais pas, car elle en avait un, mon cousin Lou. Cousin avec lequel j'appréciais beaucoup jouer. Je crois qu'elle aurait voulu que son fils connaisse les mêmes réussites que moi sur le plan scolaire et sportif. Elle comparait sans doute sans vraiment le vouloir nos vies, nos avenirs, mais je crois que tout cela a énormément pesé sur mon cousin durant son enfance. Elle devint ma marraine de cœur, moi qui n'avait pas de parrain ni de marraine dans ma vie.
Enfant, je me suis souvent occupé seul. Du moins d'aussi loin que je me souvienne. Je n'ai pas énormément de souvenirs de mes plus jeunes années comme la plupart des gens, mais des souvenirs me reviennent encore, comme par exemple lorsque je regarde ma raquette de ping pong accrochée au mur de mon salon, des souvenirs de mes quatre ans alors que je commençais à jouer au tennis de table contre un mur de la cuisine maternelle. Je pense que ma passion pour le tennis date de cette époque mais jamais je n'aurai cru que j'en ferai mon métier un jour.
A mes cinq ans, ma mère m'inscrivit dans un cours de tennis débutant pour enfant et je découvris pour la première fois un court de tennis. C'était si grand, tellement plus grand que mon petit univers, et tellement plus grisant aussi. Je pense que le sport a été l'une des raisons pour lesquelles je m'en suis si bien sorti. Le sport, et ma mère. J'avais pour moi la fougue et l'instinct et bien vite je dominais mes petits camarades. C'est là que ma vie prit un tournant inattendu.
Un homme qui était venu observer les jeunes graines de l'avenir dans les gradins comme cela se fait parfois, me remarqua, ou plutôt il décela en moi un potentiel qui devait être exploité. Il décida de me donner des cours particulier pour me faire progresser, pour que mon jeu se peaufine et que j'avance... Bien vite il s'avéra que je surclassais mes partenaires de jeux et on m'inscrivit à un tournoi. J'avais alors six ans et demi et c'était mon premier test officiel en compétition.
Cette voie que j'ai commencé à arpenter si jeune, je n'ai jamais cessé de la suivre. Durant sept années, l'homme qui avait posé son regard sur le petit joueur de tennis en devenir que j'étais, m'accompagna, me forma et affuta mon corps. Il finit cependant par prendre sa retraite et un autre pris sa place, tout aussi compétent, si pas plus. Un ancien joueur professionnel qui avait pris sa retraite anticipée suite à une blessure.
Mêlant cours et compétitions, je fus quelques fois absents de l'école pour des tournois mais les professeurs étaient au courant et j’étais un bon élève. De toute manière l’ambiance scolaire était pour moi tellement loin de ma vie sur le court qu’elle me paraissait presque fausse, illusoire, temporaire. De plus en plus je n’accordais plus d’importance à ceux qui pour moi ne le méritaient pas. Ils n’étaient pour moi guère plus importants que des insectes qui bourdonnent.
A seulement quinze ans je gagnais Roland-Garos en catégorie junior sur terre battue. Il s’en suivit des victoires, mais aussi des défaites bien sûr. J’en ai connu des tournois, des compétitions. et a dix-sept ans, je participais à ma première compétition en catégorie adulte à Anvers dans mon pays natal en Belgique. Ce fut là le premier jalon de ma carrière professionnelle.
C'est un peu avant mes dix-huit ans que ma mère décida de quitter la Belgique pour rejoindre sa sœur à Charleston. Heureusement pour elle, forte de son expérience, elle put trouver un travail similaire à celui qu'elle avait quitté mais outre-Atlantique. Devenue les oreilles de Caroline du Sud au call center de la police, elle allait, sans vraiment pouvoir le deviner, devenir une aide certaine pour celui qui allait faire de son bateau un haut lieu de la prostitution. Quant à moi j'enchainais les voyages et les tournois.
Mon passage à l'âge adulte, c'est à Charleston que je le fêtais en compagnie de ma mère et de ma marraine de cœur. Dix-huit ans, même aux Etats-Unis, cela se fête et ce même si on a pas encore tous les droits. Pour ma mère, vu ma nationalité, j'étais entièrement majeur. Juste... officiellement, je ne pouvais pas encore boire d'alcool dans le pays où elle vivait désormais.
J'étais déçu à ce moment-là de ne pas revoir mon cousin alors que je savais qu'il vivait aussi à Charleston mais il n'avait plus de contact avec sa mère depuis des années ou... sans doute très peu, et ça je le savais. Dire que je comprenais était une autre histoire car je l'aimais bien, ma tante, même si elle était un peu spéciale. Je pense que quelque part, ne pas voir son fils lui tombait dur mais je ne sais pas pourquoi elle ne tentait rien pour changer les choses maintenant que sa vie avait changé. Elle n'avait jamais été très heureuse en ménage. Ma mère et moi on le savait depuis des années, cela se voyait, s'entendait, se sentait, mais pourtant elle était restée enlisée dans son histoire, ma tante. J'étais heureux quand elle nous annonça qu'elle avait quitté son mari alcoolique et violent, qu'elle nous avait enfin écouté, ou plutôt j'aurai aimé que cela se soit passé ainsi mais... ce n'était pas tout à fait la réalité. Disons que depuis qu'il avait été incarcéré après l'avoir envoyée une fois de plus à l'hôpital, elle semblait revivre. Je retrouvais la femme de mon enfance, plus solaire et souriante.
Avec mon cousin, on ne se parlait pas souvent, on ne se voyait pas souvent, s'envoyant essentiellement des messages aux fêtes comme à Noël ou à nos anniversaires, quelques j'aimes sur Facebook aussi, mais les souvenirs restent et je l'ai recontacté de manière plus personnelle après mon anniversaire. De temps en temps je passais le voir et lorsqu'il acheta trois ans plus tard son bateau, enfin son ancienne goélette négrière, je vins l'aider à la restaurer entre deux tournois ce qui resouda nos liens. J'y injectais un peu d'argent aussi. Il avait de grandes idées, de grands projets. Il était comme ça Lou. Un peu spécial, un peu fou, mais je l'aimais bien. J'étais heureux de reconstruire une relation avec lui. Il ne faisait pas confiance à grand monde, mais à moi, si. Son Black Pearl ouvrit au début de l'été et pour mes vingt-trois ans, peu de temps après son ouverture officielle, il m'offrit un cadeau unique des plus particuliers. Il m'offrit le choix de choisir parmi ses nouvelles recrues, l'une d'entre elles pour moi. Il m'offrait sa gestion tout le temps que durerait son " travail " au sein de son établissement. C'est ainsi qu'à vingt-trois ans je devins un mac, en quelque sorte.
Contrôler un autre être humain, avoir sa vie au creux de ses mains, lui faire perdre la tête... et le faire obéir aussi. je ne peux pas dire que le pouvoir n'était pas grisant, affolant, excitant, et encore moins que cela ne m'ait pas plu mais j'étais encore bien jeune à l'époque et j'avais besoin de prendre mes marques.
J'avais vingt-cinq ans quand j'ouvris, au sein de la Caroline du Sud, et plus précisément dans les quartiers ouest de Charleston, ma propre école de tennis, la
Zénon d'Arcy Academy. Pour me rapprocher de ma mère, bien sûr, mais aussi de Lou et de son Black Pearl avec un pied à terre un peu plus ancré qu'une chambre dans un hôtel ou un appartement loué. Un endroit dont j'espérais qu'il pourrait changer la vie d'autant de gens que le tennis l'avait fait pour moi. Composé de dix-huit courts : six courts couverts en dur, trois courts couverts en terre battue et neuf courts extérieurs en terre battue, mais aussi d'une salle de fitness, d'une salle de kinésithérapie, d'un clubhouse, d'un restaurant, et de salles de séminaires ainsi qu'un dortoir. On pouvait y vivre ici son rêve, ou du moins le commencer. C'était en tout cas ce que j'espérais.
Mêlant à la fois ma vie sur les courts internationaux, les entrainements, les cours à l'académie mais aussi la gestion de mes activités dans un monde un peu moins en lumière, je n'arrêtais pas. Je ne m'occupais bien sûr pas seul de l'académie, et heureusement, sinon je pense que j'aurai fini entre quatre planches bien avant mes trente ans.
Trente-et-un an, c'est l'âge que j'ai aujourd'hui et je me dis que devant moi il me reste encore bien sept, huit ou neuf ans avant de sans doute devoir quitter les compétitions, je me dis que j'ai encore le temps... Le temps de vivre ma vie, de profiter, et de briller aussi.
Et vous, voudriez-vous briller avec moi ? Grâce à moi ?